La télévision et les médias ont fait état de cette situation particulièrement grave qui touche l’ensemble de notre profession ; au travers de quelques seules images ou témoignages divers, il est difficile d’avoir une idée précise face à cette catastrophe économique.

La surface du vignoble Girondin était d’environ 125000 hectares, vers 110000 à ce jour ;aidés par nos amis et partenaires œnologues qui par leur vision et leurs conseils nous permettent de tirer profit au mieux de ce que la nature nous offre, nos vins de Bordeaux reconnus par leur excellente qualité, toujours en progression avec un rapport qualité/prix plus qu’attractif ; qui des vignerons extérieurs ou étrangers ne veulent pas s’appeler « Bordeaux » recherchant à copier nos pratiques culturales ou productives, tentant également à planter tous nos cépages dans leurs vignobles. Nos récoltes se commercialisant sans soucis particulier ; une partie en bouteilles, l’autre en vrac par les négociants Bordelais ou étrangers. Avec de tels arguments, comment imaginer qu’un jour, toute notre région allait se retrouver dans une telle situation.

Certes, des erreurs ont été commises avec de mauvaises visions des choses dont les réactions trop tardives ont pesé lourd face aux marchés perdus. Les responsables de la filière du négoce pratiquant la vente en vrac sur des gros volumes n’a pas utilisé l’agressivité commerciale de la concurrence leur laissant la porte ouverte afin de se placer sur nos marchés ; le : « ça ira mieux demain » reste une optique dangereuse. Dans bien des cas, nos concurrents produisent des vins de bonne qualité, souvent vendus plus chers que les nôtres, il y a donc un paradoxe ! A un moment, la solution de facilité fut de nous imposer un rendement plus faible avec comme réflexion simpliste : on ne peut produire que ce que l’on vend ; ce n’est vrai qu’en partie : je vais donc répondre selon ma façon de voir, ce n’est pas que l’on produit trop, c’est que l’on ne vend pas assez ; il faut s’en donner les moyens, déjà en évitant à la concurrence de prendre nos marchés, ceux qui existent ! Face aux conditions climatiques et avec les températures qui augmentent, le fait de produire des rendements plus faibles contribue à augmenter la teneur en sucre, ce qui ne fait que compliquer nos vinifications avec des degrés élevés, ce qui ne génère pas de revenus meilleurs avec une production plus réduite mais qui entraîne des fermentations délicates, ne facilitant en rien notre travail dans les chais.

Nous savions que le volume de consommation du vin baissait tout doucement, les vins de table pratiquement abandonnés mais avec un regain pour des produits meilleurs, plus au goût des générations montantes dont les habitudes et mode de vie changent ; par chance, ce sont ces vins que nous leur offrons ; encore une nouvelle question se pose.

La situation du moment n’est pas encourageante ; l’économie difficile, les deux années « Covid » l’incertitude avec l’insécurité, la guerre en Ukraine, toutes les hausses et augmentations démesurées qui viennent pourrir l’organisation de la vie de tous. Comment ne pas souligner que beaucoup, autour de nous, ne jouent pas le jeu en ne soutenant pas et ne mettant pas en avant nos vins de Bordeaux. Avec un petit retour en arrière, je me souviens, lors de  promenades sur le Bassin d’Arcachon, chaque cabane à huîtres, chaque restaurant proposait des vins de Bordeaux ou de l’Entre deux Mers ainsi que du Lillet, l’apéritif à base de vin, produit chez nous ; la réflexion du jour faite par tous : il n’y a plus que des vins autres que ceux de Bordeaux de proposés sur ce secteur alors qu’en bordure de Méditerranée seuls les rosés des Côtes de Provence sont à la carte, idem à Cahors, en Alsace ou dans d’autres régions où se produisent des vins fins. J’ai eu la chance de visiter les coutelleries de Laguiole, dans cette commune, tous les commerçants confondus vendent des couteaux ; à Bordeaux, cette dynamique fait défaut.

Depuis plusieurs années, nous organisons une manifestation professionnelle : Bordeaux fête le vin ; j’y participe avec notre Confrérie également sur le stand du Bordeaux où sont proposées des dégustations, ces trois jours de fête sur les quais de Bordeaux restent une réussite sans précédant, nos vins procurant le trait d’union chaleureux et amical entre les producteurs et tous les amateurs à qui j’invite à venir en juin 2023 et à qui je conseille non pas de boire avec modération, mais tout simplement avec sagesse tant le vin est diabolisé dans la lutte contre l’alcoolisme, en oubliant la consommation des alcools forts dans les boites de nuit où les retours sont parfois entachés d’accidents graves…..mais c’est toujours le verre de vin qui se trouve d’être le vilain petit canard !

Pour en terminer dans mes explications et dans mon descriptif, il faut savoir qu’en 2023 à Bordeaux, l’âge des vignerons, chefs d’exploitations ne cesse d’augmenter, une grosse partie ayant dépassé l’âge de la retraite, travaillant encore, ne pouvant pas vivre avec dans bien des cas avec une pension de moins de 1000 € - autour de 500 pour certains !-  n’ont pas de succession assurée, leurs parcelles de vigne ne valant plus le moindre €, aucun acheteur intéressé, beaucoup de ceux qui vendent en vrac avec plusieurs récoltes en chai, pas la moindre goutte de commercialisée, des factures impayées qui s’amoncellent, plus aucune trésorerie de disponible ni pour eux, ni pour payer leurs salariés et fournisseurs et malheureusement des suicides dont on évite de parler. Le plus inquiétant restant qu’en face de nous, tous les responsables des divers organismes dont nous dépendons connaissent très bien le fond du problème mais on a comme l’impression qu’ils se refusent à en accepter la réalité. Hors mis, tous les Grands Crus Classés dont la gestion est assurée par des capitaux venant d’entreprises privées ou de sociétés industrielles, leurs vins commercialisés 10, 20, 100 ou 1000 fois plus que le tarif des nôtres, c’est toute la profession viticole privée qui se trouve ainsi touchée par cette crise aussi importante, d’une ampleur jamais rencontrée. Tous nos amis élus sont à nos côtés, députés, sénateurs ; si leur aide reste appréciable et il faut les en remercier bien vivement, pas de magie à ce niveau, il est souhaité de voir entre 10 et 15000 hectares de vignes arrachées, ce qui limiterait la récolte, rien n’étant pour autant assuré pour financer une telle action où il reste impératif d’aller très vite ; alors qu’il faut trouver d’autres formules pour vendre tous les vins en stock depuis plusieurs années, là, rien  n’est à l’étude ni envisagé, ni proposé. La belle image de notre campagne viticole est en train de se ternir, de nombreuses friches apparaissent et vont devenir la vision de ce qu’est ce désastre sur notre milieu productif.


Jean-Marie LANOUE